Le Dernier Enregistrement - 3ème partie


On peut dire qu'à présent c'était plutôt Raphaël qui avait la responsabilité de la New Beetle. Giovanna qui avait gravi les échelons dans son entreprise jusqu'à devenir secrétaire de direction aurait bien pu bénéficier d'un véhicule de fonction, mais son lieu de travail était si proche de son dernier domicile qu'elle s'y rendait tantôt à pied, tantôt en transport en commun. Pour le reste, c'était un cadre de l'entreprise aux petits soins, d'une galanterie un peu vieux jeu mais dont elle s'accommodait volontiers, et qu'elle fréquentait régulièrement, qui se proposait de l'accompagner. Ses distractions ne se limitaient plus depuis quelques années qu'à se rendre au gros centre commercial de sa zone, et à la sortie du week-end sur Paris, en fin de matinée jusque début de soirée, retour en RER, le samedi, parfois le dimanche, rejoindre les amies fidèles. Il arrivait que son fils passe les saluer en coup de vent. Elle partait aussi régulièrement dans ce petit village de Normandie d'où était originaire sa mère, visiter sa tombe et l'entretenir. La voiture, elle n'en avait donc que peu usage. Son fils pouvait bien la monopoliser, d'autant que son Estudines se trouvait assez loin de l'IUT. Et c'est de savoir sa mère sans moyen de locomotion quand il apprit la nouvelle qui le fit se précipiter chez elle. Le réseau était surchargé et les communications ne passaient plus dans leur secteur. Raphaël ne fut donc pas étonné de voir autant de voitures circuler à cette heure tardive. La circulation restait encore relativement fluide car les autos roulaient en trombe dans les petites artères qu'il empruntait, un peu comme à l'époque quand, aux heures de sortie de bureaux, l'on voyait les rues adjacentes aux zones industrielles, d'ordinaire si calmes, se couvrir d'un flot ininterrompu de véhicules de tourisme et d'utilitaires, pendant deux ou trois heures. Cependant, il fut bloqué aux abords d'un échangeur, heureusement non loin de la petite résidence où vivait Giovanna. Il put garer la voiture sur la pelouse, suffisamment en retrait pour éviter qu'elle fût esquintée ; les gens, en effet, commençaient déjà à se frayer un chemin à travers la verdure pour rejoindre les voies rapides pour autant aussi encombrées que les embranchements. En alternant les tentatives désespérées de passer des coups de fil et le pas de course à travers les klaxons et gaz d'échappements, Raphaël atteignit la sortie suivante puis la résidence en une demie-heure. Sa mère tournait en rond sur le parking vide, morte d'inquiétude. Elle avait refusé de suivre des voisins pour attendre son fils, ou son compagnon qui s'il avait voulu rester avec elle, aurait dû lui aussi attendre le fils. Ils s'empoignèrent mutuellement. Raphaël proposa de retourner au véhicule pour aller chercher l'ami de sa mère. Il laisserait un mot sur la porte avec un rendez-vous précis pour le cas où ils se rateraient. « Non, attends un instant, il faut encore que je prenne quelque chose… » « Mais, Maman, on n'a pas le temps… Oublie… on reviendra, y a des chances que ce soit encore là plus tard… » « C'est l'affaire d'une minute… je… on ne peut pas partir sans. »
Ils entrèrent avec précipitation dans l'appartement. Raphaël était anxieux. Sa mère fouillait à la hâte dans le garde-robe de l'entrée. Elle en tira la boîte à chaussure. La boîte à chaussure pleine des photos de famille. Le visage de Raph se détendit l'espace d'un instant pour s'illuminer de compréhension. Ses sourcils s'arquèrent en signe d'empathie. L'instant suivant, il levait la tête. Ça y était, on sentait la température remonter au niveau des soirées caniculaires du mois d'août. De ce qu'il avait compris du phénomène et de ce qui en avait pu être dit aux nouvelles, il semblait hasardeux de vouloir retourner à la voiture, il valait mieux se réfugier en sous-sol. Raph tira le bras de sa mère, et d'une voix douce : « Allez, on y va maintenant… » C'est alors que Giovanna aperçut le vieux répondeur, couvert auparavant par les photos. Lui vint à l'esprit comme un flash qu'y était consignée la voix de sa mère. Elle le saisit. Ils coururent se réfugier à la cave par la porte arrière du bâtiment. Les tiges des fleurs dans le jardinet au fond de la propriété commençait à ployer sévèrement.