Avant de ranger le répondeur dans une armoire, Giovanna réécouta une dernière fois la voix éraillée et hésitante, par moment à contre-temps, de sa mère vraisemblablement peu certaine des paroles de Colchiques. Depuis ce jour d'anniversaire, presque cinq mois s'était écoulés, pensait-elle. L'effet d'expansion et contraction de la voix lui évoquait certaines modulations artificiellement générées par algorithmes sur celle de chanteuses américaines de R & B de ses années de sorties nocturnes effrénées, vers la fin du vingtième siècle, Missy Elliot et consorts chaperonnés par Timbaland et Maggoo, puis les suiveurs adeptes du offbeat et pro de la dissonance. La comparaison s'arrêtait là, car si elle associait ces années d'insouciance à sa rencontre avec Bruno et sa fuite lâche quelques semaines avant la naissance de Raphaël, le chant maternel résonnait plutôt comme un chant terrestre, peut-être primitif, et lui rappelait les considérations de son ancien prof de chant : Personne ne chante faux, seule l'oreille n'est pas adaptée…
Elle raccorda ensuite à la prise murale le Combo, une console domestique multifonctions d'un grand opérateur de téléphonie qui tenait lieu de répondeur, certes, mais aussi centralisait le modem et un récepteur de programmes télé. Une carte-mémoire intégrée remplaçait le magnéto. Le téléphone fixe, l'ordi, la télé s'y connectaient en continu. En option, on pouvait même y lier son forfait de téléphone mobile. Pareil pour la gestion d'une alarme à distance – pour plus de détails, consulter les modalités auprès du fournisseur d'accès, etc.
La vie serait plus facile. Giovanna avait retrouvé un emploi. Des perspectives de promotions s'ouvriraient quelques mois avant l'entrée en CP de son fils. Dès son CE 1, elle consoliderait son foyer en formant un vrai ménage, donnant une sœur par alliance, Alice, à son fils Raph. D'âges proches, ils deviendraient compagnons de jeux soudés, avant la séparation de leurs parents quand Raph atteindrait la cinquième et Alice la quatrième. Et un nouveau déménagement.
